2.2 Les devoirs et les responsabilités des procureurs de la Couronne
Guide du Service des poursuites pénales du Canada
Ligne directrice de la directrice donnée en vertu de l’article 3(3)(c) de la Loi sur le directeur des poursuites pénales
Révisée le 12 septembre 2023
Table des matières
- 1. Introduction
- 2. La conduite des poursuites pénales
- 3. Le devoir d’agir avec équité et de maintenir la confiance du public
- 4. Le devoir de préserver l’objectivité
- 5. Le devoir d’agir avec intégrité et dignité
- 6. Le devoir d’encadrer et de guider
- 7. Le devoir d’être indépendant de la magistrature
- 8. Le devoir d’éviter les conflits d’intérêts
1. Introduction
La présente ligne directrice décrit les devoirs et les responsabilités des procureurs de la CouronneNote de bas de page 1 dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions déléguées aux termes des art. 3(3) et 9(1) de la Loi sur le directeur des poursuites pénales.
2. La conduite des poursuites pénales
Les procureurs de la Couronne sont investis de pouvoirs discrétionnaires très étendusNote de bas de page 2 qui leur sont délégués par la Directrice des poursuites pénales (DPP)Note de bas de page 3. Ces pouvoirs discrétionnaires doivent être exercés en fonction de l’intérêt publicNote de bas de page 4.
L’intérêt premier des procureurs, à titre de quasi « représentants de la justice », n’est pas d’obtenir une condamnation, mais de « promouvoir la cause de la justice »Note de bas de page 5. Ce faisant, ils représentent l’intérêt public. Les procureurs ne sont pas les défenseurs des droits des policiers, des victimes ou des accusés. La Cour suprême du Canada a précisé le rôle du poursuivant dans le cadre d’une poursuite criminelle dans l’arrêt de principe Boucher :
[Traduction] On ne saurait trop répéter que les poursuites criminelles n’ont pas pour but d’obtenir une condamnation, mais de présenter au jury ce que la Couronne considère comme une preuve digne de foi relativement à ce que l’on allègue être un crime. Les avocats sont tenus de veiller à ce que tous les éléments de preuve légaux disponibles soient présentés : ils doivent le faire avec fermeté et en insistant sur la valeur légitime de cette preuve, mais ils doivent également le faire d’une façon juste. Le rôle du poursuivant exclut toute notion de gain ou de perte de cause.Note de bas de page 6
Les procureurs ont des obligations déontologiques qui diffèrent de celles d’autres plaideursNote de bas de page 7. L’équité, la modération et la dignité devraient toujours caractériser la conduite des procureurs de la Couronne en cours d’instanceNote de bas de page 8. En même temps, la vigueur et la minutie sont des qualités importantes que doivent posséder les plaidoiries des procureurs. La Cour suprême du Canada a d’ailleurs déclaré qu’une plaidoirie vigoureuse de la part de la Couronne est un mécanisme essentiel au bon fonctionnement de la justice criminelle au CanadaNote de bas de page 9. Les procureurs ne doivent pas envisager le procès pénal comme un concours d’habiletés et de prestige professionnel.
Les tribunaux n’interviennent généralement pas dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire des procureurs sauf s’il est exercé pour des motifs cachés, porte atteinte au droit à un procès équitable, ou constitue un abus de procédureNote de bas de page 10. À tout moment, les procureurs doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire de bonne foi et en conformité avec les règles de déontologie les plus strictes. Dans Regan, la Cour suprême du Canada a énuméré l’objectivité, l’indépendance et l’absence d’une propension à un sentiment comme étant les trois responsabilités majeures d’un représentant de la justiceNote de bas de page 11. Ces obligations s’appliquent aux procureurs en tout temps et pour l’ensemble de leurs rapports avec les accusés, que ce soit avant ou après le dépôt des accusations. Par ailleurs, ces obligations se rattachent aux interactions des procureurs avec les autres personnes associées au système judiciaire, notamment les victimes et les témoins.
Il s’ensuit que les devoirs et responsabilités des procureurs englobent les décisions prises avant le procès dans l’exercice de leur discrétion. Par exemple, les procureurs exercent leurs discrétions lorsqu’ils décident d’intenter des poursuites, s’acquittent de leur obligation de divulguer la preuve, consentent à une mise en liberté provisoire, présentent un acte d’accusation direct ou amorcent des discussions de règlement. Ce type de décisions a une incidence sur l’accusé et l’administration de la justice.
Les procureurs doivent s’acquitter de nombreuses obligations. Celles qui suivent sont parmi les plus importantes.
3. Le devoir d’agir avec équité et de maintenir la confiance du public
La confiance du public envers l’administration de la justice repose sur un système dans lequel les procureurs sont non seulement des adversaires robustes et efficaces, mais également des représentants de la justice qui ont l’obligation de veiller à ce que le système de justice fonctionne équitablement pour tous. Les procureurs doivent reconnaître qu’ils peuvent agir équitablement, tout en laissant, de façon non intentionnelle, une impression de secret, de partialité ou d’injustice. Par conséquent, ils sont non seulement tenus d’agir équitablement, mais leur conduite doit aussi être perçue comme étant équitableNote de bas de page 12.
Dans le cadre de ce devoir, les procureurs doivent considérer si des facteurs systémiques et historiques, ou le racisme systémique ont pu contribuer à traduire l’accusé devant les tribunaux. Ces facteurs peuvent aussi contribuer à la surreprésentation de certaines personnes en tant que victimes d’actes criminels. Le racisme, l’injustice historique, le statut socioéconomique inférieur, les troubles de santé mentale ou liés à l’utilisation d’une substance, et la discriminationNote de bas de page 13 constituent tous des facteurs qui augmentent le risque qu’une personne se retrouve aux prises avec le système de justice pénale, que ce soit en tant qu’accusée ou victime. Les procureurs doivent être au fait de ces réalités, car ces facteurs peuvent influencer les décisions prises au cours d’une poursuite.
Les procureurs doivent reconnaître que l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire en matière de poursuite a des répercussions sur les accusés et que ces effets varieront d’un accusé à l’autre. Par exemple, certaines décisions peuvent avoir une incidence plus importante et disproportionnée sur les populations vulnérables et marginalisées. Ainsi, les procureurs doivent veiller à ce que leurs décisions ne touchent pas de manière disproportionnée les plus vulnérablesNote de bas de page 14. Cela signifie donc qu’appliquer les mêmes règles, les mêmes mesures ou les mêmes normes à tous les accusés pourrait ne pas s’avérer toujours opportun. En vue de veiller à ce que les répercussions des décisions en matière de poursuite ne soient pas injustes, inéquitables ou discriminatoires, les procureurs doivent examiner activement tous les choix qui s’offrent à eux en fonction des renseignements fournis par les organismes d’enquête et les accusés.
Les procureurs doivent également s’acquitter de leur devoir d’agir avec équité en :
- Communiquant la preuve conformément au droit Note de bas de page 15 ;
- Portant à l’attention du tribunal toute la jurisprudence et la doctrine pertinentes dont ils ont connaissance, même si elles peuvent être contraires à la thèse de la Couronne ;
- Évitant d’induire le tribunal en erreur ;
- Énonçant le droit avec exactitude ;
- N’acceptant pas un plaidoyer ou des mesures alternatives dans les cas où il n’y a aucune perspective raisonnable de condamnation ;
- Tenant compte des facteurs susceptibles de donner lieu à des condamnations injustifiées, notamment les faux aveux ou les identifications erronées par des témoins oculaires ;
- Évitant d’exprimer une opinion personnelle sur la preuve, y compris sur la crédibilité des témoins ou sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé, à l’audience ou en public. Le fait d’exprimer de telles opinions est inapproprié Note de bas de page 16 ;
- Étant justes et impartiaux lorsqu’ils présentent des éléments de preuve ou s’adressent au jury. Ceci comprend le fait de ne pas employer une rhétorique incendiaire ou des remarques dégradantes ou sarcastiques;
- Évitant de se reposer sur une preuve non admise au procès ou d’y faire référence, même si celle-ci est disponible et que la poursuite a choisi de ne pas la présenter ;
- Évitant toute discrimination fondée sur un motif prohibé Note de bas de page 17 ;
- Prenant des décisions concernant le dossier en temps opportun, plus précisément lorsque celles-ci ont des répercussions sur l’incarcération de l’accusé, la sécurité publique ou la confiance dans l’administration de la justice ;
- Posant des questions pertinentes et appropriées lorsqu’ils interrogent un témoin ;
- Évitant de poser des questions conçues pour embarrasser, insulter, malmener, déprécier, attaquer ou rabaisser le témoin. Le contre-interrogatoire peut être habile et serré, sans pour autant manquer de respect envers le témoin Note de bas de page 18. La loi établit une distinction entre les contre-interrogatoires qui sont « minutieux et exhaustifs », ce qui est approprié, et les contre-interrogatoires qui sont « abusifs » Note de bas de page 19 ;
- Faisant preuve de courtoisie et de respect à l’égard de toutes les parties, à l’intérieur comme à l’extérieur de la salle d’audience Note de bas de page 20 ;
- Faisant preuve de respect à l’égard de l’avocat de la défense Note de bas de page 21, de l’accusé et des procédures, tout en défendant vigoureusement la position de la Couronne, et en évitant de critiquer publiquement et de façon inappropriée la stratégie de la défense ;
- Faisant preuve d’ouverture d’esprit à l’égard des thèses avancées par la défense ;
- Faisant preuve de respect à l’égard du tribunal et des décisions judiciaires, et en évitant de formuler publiquement des propos désobligeants à l’égard des jugements ;
- Évitant de prendre activement part à la « recherche d’un juge accommodant » Note de bas de page 22.
3.1. Le devoir de se tenir informé
L’exercice légitime du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuite exige que les procureurs se tiennent informés, non seulement sur le plan du droit, mais également sur celui des obligations déontologiques auxquelles ils sont tenus de se conformer, ainsi que des réalités sociales des collectivités dans lesquelles ils mènent des poursuites. Les procureurs peuvent se tenir informés par le biais de la formation continue, de l’étude personnelle ou de tout autre type de formation.
3.2. Le devoir d’utiliser un langage convenable et de se conduire de manière appropriée
Les procureurs doivent utiliser un langage dépourvu de préjugés, de stigmatisation et d’attitudes ou de croyances négatives. Les procureurs doivent être conscients que la terminologie qu’ils emploient pour qualifier les victimes d’actes criminels, les accusés ou les témoins peut avoir de lourdes conséquences. Ceci comprend les commentaires injustes ou de nature à traumatiser davantage la victime (s’il y en a une). Les propos désobligeants ou partiaux peuvent donner lieu à l’annulation du procès, la perte de confiance du public envers le service de poursuite et l’affectation de ressources supplémentaires.
Les procureurs ne peuvent « employer une rhétorique incendiaire, faire des commentaires dérogatoires ou sarcastiques ou présenter des arguments inadmissibles. Ce genre de conduite mine l’équité du procès Note de bas de page 23. Bien que les procureurs puissent présenter la cause avec conviction, il ne faut en aucun cas adopter un tel comportementNote de bas de page 24. La question de savoir si des remarques sont inappropriées dépend de leur nature, de leur nombre, des mots précis employés ainsi que du ton adopté au cours de l’exposé. Les procureurs sont tenus de se conformer à une norme plus rigoureuse que celle applicable à l’avocat de l’accusé.
4. Le devoir de préserver l’objectivité
Les procureurs s’acquittent de ce devoir en :
- Ayant conscience des dangers liés aux idées préconçues, et en prenant activement des mesures en vue d’y remédier, notamment en sollicitant les points de vue d’autres collègues qui peuvent offrir une perspective différente ;
- S’assurant que les éléments de preuve sont examinés de manière objective, rigoureuse et exhaustive au cours des procédures Note de bas de page 25 ;
- Demeurant objectifs lors de la prestation de conseils aux enquêteurs durant l’étape préalable au dépôt d’accusations et en veillant à ce que leur participation à cette étape n’influence aucunement leur capacité à faire preuve d’objectivité lors de la poursuite. Ils doivent prendre des mesures actives, notamment en demandant à quelqu’un de jeter un « regard neuf » pour veiller à ce que la poursuite soit dépourvue de préjugés réels ou apparents Note de bas de page 26. Il pourrait s’avérer parfois inopportun pour les procureurs qui fournissent des conseils d’agir également à titre de poursuivants ;
- Prenant des mesures actives pour écarter leur propres préjugés et identifier ceux qui ont pu avoir une incidence sur l’enquête. Les procureurs doivent prévenir toute forme de préjugés conscients et inconscients pouvant perpétuer une discrimination historique et systémique. Les idées préconçues ou la discrimination peuvent reposer sur divers facteurs identitaires, notamment la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, la déficience, le statut socioéconomique ou l’affiliation politiqueNote de bas de page 27 ;
- Faisant toutes les démarches nécessaires concernant les éléments de preuve qui pourraient s’avérer pertinents Note de bas de page 28 ;
- Ne permettant jamais que des intérêts personnels ou des considérations politiques influencent l’exercice légitime de leur pouvoir discrétionnaire ;
- Ne dépassant pas la portée des observations appropriées, par exemple en rehaussant, aux yeux du jury, le rôle du procureur de la Couronne à celui de gardien de l’intérêt public Note de bas de page 29.
5. Le devoir d’agir avec intégrité et dignité
Les procureurs s’acquittent de ce devoir en :
- Se conformant aux règles de déontologie établies par le barreau dont ils sont membres ;
- Se conformant au Code de conduite du SPPC, à la mission et les valeurs du SPPC, ainsi qu'au Guide du SPPC ;
- Faisant preuve de jugement éclairé lorsqu’ils présentent la thèse du ministère public au cours de la poursuite ;
- Se comportant avec civilité Note de bas de page 30 ;
- Évitant de porter des jugements hâtifs dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuite ;
- Veillant à ce que tous les renseignements pertinents soient disponibles en vue d’exercer dûment le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuite. Si les renseignements pertinents ne sont pas disponibles, les procureurs doivent présenter une demande auprès de l’organisme d’enquête pour qu’il puisse les fournir ou les recueillir ;
- Demeurant indépendant de l’organisme d’enquête, de la victime et des témoins ;
- Se préparant adéquatement pour chaque procès ;
- Agissant avec modération, équité et impartialité.
6. Le devoir d’encadrer et de guider
Le mentorat est primordial à la profession juridique. Les relations de mentorat facilitent le partage des connaissances, des compétences, et de la sagesse acquise par l’expérience. Le mentorat offre de réelles possibilités d’apprentissage, mais permet également aux avocats d’acquérir du jugement, ce qui les rend plus apte à exercer leur pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable et avec assurance. Les procureurs chevronnés devraient encadrer ceux qui débutent dans la profession, lorsqu’ils sont en mesure de le faire.
7. Le devoir d’être indépendant de la magistrature
Les procureurs s’acquittent de ce devoir en :
- Ne discutant pas de questions concernant un dossier en cours avec un juge qui préside l’audience ou tout autre juge en fonction sans la participation de l’avocat de la défense (ou d’un accusé qui se représente seul), à moins qu’il existe une justification légale pour ces discussions ex parte Note de bas de page 31;
- Évitant de régler dans le bureau du juge des points qui devraient normalement être traités en audience publique ;
- Évitant des discussions personnelles ou privées avec le juge saisi de l’instance, dans son bureau ou à l’extérieur du palais de justice ;
- Évitant de plaider une affaire contentieuse devant un juge avec lequel ils ont des liens personnels, lorsque cette relation pourrait nuire ou donner l’apparence de nuire à l’exercice indépendant du rôle du juge ou du procureur ;
- Évitant de socialiser avec un juge à l’extérieur du tribunal avant qu’une décision définitive ne soit rendue.
8. Le devoir d’éviter les conflits d’intérêts
Les obligations déontologiques particulières des procureurs, en tant que quasi ministres de la justice, exigent la plus grande honnêteté et la plus grande intégrité. La conduite des procureurs doit susciter la confiance du public. Ainsi, il est important que les procureurs de la Couronne évitent tout conflit d’intérêts, qu’il soit réel, apparent ou potentielNote de bas de page 32.
Les procureurs doivent s’abstenir de participer à toute poursuite concernant un accusé, une victime ou un témoin important qui est un membre de leur famille, un ami ou une autre personne à l’égard desquels on pourrait objectivement percevoir qu’il existe un conflit d’intérêts. Si le tribunal est déjà saisi de l’affaire lorsque le conflit d’intérêts devient évident, les procureurs doivent en informer l’avocat de la défense et le tribunal, et se retirer du dossier.
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